Ces marques qui donnent le La
Il faut le dire, qu’on le veuille ou non, le domaine de l’art et celui de la communication ont toujours été très liés.
En effet, il est impossible pour une marque, lorsqu’elle décide de créer son propre univers, son identité, de ne pas flirter avec le domaine de l’art. La création d’un logo, le choix de couleurs harmonieuses, de formes élégantes, passent forcément par une touche créative, un « regard d’artiste ». La publicité, parent pauvre du cinéma, joue également un rôle essentiel dans la construction et la perception d’une marque.
J’entends déjà les antis-pub débiter leur discours contestataire, soulignant le fait que l’art est un projet à but non lucratif qui doit être dissocié des ambitions économiques des marques. Pourtant, que ce soit la sculpture, le cinéma, la photographie, la peinture, la poésie ou encore la danse, chaque composante du « monde de l’art » influence la publicité et les annonceurs dans leur façon de communiquer. Gilles Masson, président fondateur de M&C SAATCHI Gad, va plus loin et nous explique que la musique joue un rôle encore plus essentiel car, selon lui, elle compte pour 50% dans l’impact d’un film ou d’une publicité.
Plus globalement, le duo marque-musique s’impose partout, à tous les niveaux et sa puissance d’impact auprès du public n’est pas seulement vraie en publicité…
Nous allons voir comment d’un simple jingle, les marques débouchent aujourd’hui sur de véritables stratégies de « musical content » ou contenu musical global.
Pour nous échauffer, penchons nous tout d’abord sur la signature sonore des marques.
La signature sonore permet à une marque de rester ancrée dans la mémoire des consommateurs mais également, de par le style de celle-ci, de participer à la construction d’un territoire, d’une identité représentative de l’image que la marque souhaite faire passer à son audience.
Ci-dessous, le jingle SNCF connu de tous :
Si un simple jingle permet au consommateur de se rappeler d’une marque alors pourquoi chercher à diffuser un contenu plus global, voir même de s’essayer à s’improviser label de musique ? Pourquoi les marques ont-elles de plus en plus besoin des artistes ? Pourquoi ces mêmes artistes ont-ils, eux aussi, de plus en plus besoin des marques ?
A l’heure actuelle, la concurrence entre les marques est importante et la publicité est partout. Cette omniprésence et la multiplication des messages finissent par réduire l’efficacité de la communication et donc, l’impact des marques. La musique, et plus globalement le brand content, répondent à l’usure des formats publicitaires dits « traditionnels ». En diffusant du contenu, notamment musical, les annonceurs divertissent le consommateur, il le pousse à « chercher » lui-même un marketing qui lui plait, une marque qui lui ressemble, un univers commun.
Le Brand Content est divisé en trois grands types de contenu : les contenus de découverte (la R&D par exemple), les contenus d’information (développement durable, citoyenneté, formation …) et les contenus de divertissement (jeux, spectacles, sports, musique …).
Les nouvelles plateformes musicales gratuites comme Deezer ou Spotifiy deviennent payantes, le rouleau compresseur Lady Gaga constitue un véritable écosystème de marque (lignes de vêtements, produits dérivés, partenariats, jeu vidéo « Gagaville« …) et Starbucks possède désormais sa propre maison de disques Hear Music. Les annonceurs semblent donc de plus en plus investis dans la vie des artistes et inversement.
Un premier constat émerge :
Les artistes sont – pour beaucoup d’entre eux – devenus des marques et les marques deviennent des diffuseurs à la recherche de contenus. Les uns ont donc besoin des autres.
Afin de ne pas enfermer la relation marque-artiste, il est important de l’imaginer comme un échange, un transfert de valeurs et non pas comme de simples services rendu par à-coups.
Si cet impact est à ce point percutant c’est parce que la musique n’est pas un simple divertissement. La musique est un langage. La musique est intemporelle. Associer un son, une mélodie à une marque permet d’atteindre l’imaginaire du consommateur grâce à l’émotion.
Duo gagnant
L’artiste, de par sa capacité à innover, à créer, possède un univers propre. Il apporte sa touche personnelle et donne de la profondeur à la marque concernée.
Mika et Coca Cola
A l’occasion de son 80ème anniversaire, le géant du soda a décidé de s’associer à Mika, qui a, pour l’occasion, imaginé et dessiné (avec l’aide de sa sœur Yasmine, qui dessine également les pochettes des albums de Mika) la « Happiness Bottle ». Une bouteille vendue en édition limitée, qu’il décrit lui-même comme « visuellement très pop », haute en couleur et pleine de joie. A son image !
Eminem et Chrysler
Cette dernière campagne Chrysler « Imported From Detroit », qui a reçu pas moins de 4 Lions durant le dernier Festival de la publicité de Cannes (meilleure régie, meilleure musique, meilleur spot automobile et meilleur montage), a été réalisée à l’occasion de la sortie de la nouvelle 200c, véritable symbole de la renaissance de la marque. Chrysler souhaite communiquer sur le savoir-faire, le « from Detroit ». Qui de mieux qu’un jeune rappeur blanc issu de la classe ouvrière de la banlieue de Detroit, connu mondialement, pour représenter la marque ?… Comme la voix off le dit très justement « it isn’t New York City », c’est à dire que Detroit n’est pas une ville « bling-bling », elle n’est pas une ville d’apparence très séduisante mais elle est une ville avec des valeurs, une ville avec du caractère. Eminem et son histoire incarnent donc à merveille ce renouveau de Chrysler et ses valeurs de marque.
Les marques, de vrais mécènes
Certaines marques comme Starbucks ou Kitsuné sont également très influentes dans le monde de la musique. Starbucks produit des artistes de renommée internationale comme Paul McCartney grâce à sa propre maison de disque, Hear Music. Kitsuné (ligne de vêtements basée à Paris) a de son côté créé un label de musique et tout un univers électro-pop plutôt tendance autour de sa marque. Ce label est reconnu en tant que tel après avoir lancé des groupes comme Klaxons, Hot Chip ou Boys Noize …
Pour Michel Gotlib (ex-directeur marketing Europe de l’Ouest et Scandinavie de Coca Cola), qui vient de quitter la firme américaine il y a à peine 4 mois, le rôle des annonceurs « n’est pas de produire des spectacles, ni d’être un label, mais d’utiliser leur notoriété pour la mettre au service de jeunes talents. »
En effet, pour bon nombre d’artistes en quête de renommée, s’associer à une marque peut-être un tremplin, une excellente opportunité de gagner en visibilité et de se faire connaître à grande échelle.
Oxford et The Do
C’est grâce à cette pub pour Oxford que le groupe pop The Do s’est fait connaître en 2007. Le duo français interprète dans ce spot la chanson « On My Shoulders » et sort dans la foulée leur premier album « A Mouthful », immédiatement en tête des ventes. Une premiere historique pour un groupe français anglophone.
Izia et Petit Bateau
Il y a maintenant un peu plus d’un an, en février 2010 pour être précis, c’est Petit Bateau qui a vu juste en faisant de Izia Higelin (fille de Jacques et cadette de Arthur H) sa nouvelle égérie. Talent en devenir encore inconnu, Izia, 19 ans à l’époque, reprend le flambeau de la marque (alors détenu par MGMT). Elle représente à merveille la philosophie de la marque et le renouveau insufflé depuis quelques années. La suite on la connait, une année magique, chacune de ses sorties provoque l’hystérie des jeunes (et des moins jeunes) et son succès est récompensé par deux prix lors des Victoires de la Musique 2010.
Adidas & Justice
Plus récemment, Adidas a lancé mi-mars dernier son nouveau spot publicitaire. Nouvelle campagne, nouvelle signature. A l’image de son slogan « Adidas is all in », la firme Allemande se mouille après s’être faite coiffée au poteau par Nike, nouvel équipementier des Bleus.
Afin d’orchestrer le projet, c’est la nouvelle « French Touch » qui s’y colle. Sur une bande son du groupe mondialement connu Justice, le tout réalisé par le non moins en vogue Romain Gavras, ce spot est un petit bijou. Du côté du duo Français, leader du label Ed Banger, c’est l’occasion de faire connaitre avec un maximum de visibilité et « en avant-première » leur titre Civilization, première chanson de leur nouvel album qui sort en septembre.
Que ce soit pour Oxford, Petit Bateau ou Adidas, le choix s’est avéré judicieux pour la marque, mais également pour l’artiste.
En revanche, pour d’autres, le résultat est parfois moins brillant : Rihanna a associé son image à plus d’une dizaine de marques, Venus, Gilette, LG ou encore les cosmétiques CoverGirl. Au final, le consommateur se perd dans la perception qu’il a de la marque et le fan de musique dans la représentation qu’il se fait de son artiste préféré.
Un nouveau contexte
Le monde de la musique est en pleine mutation et qu’on le veuille ou non, le mode de vie des groupes de musique, des artistes, ne pourra plus être le même qu’avant. Dorénavant, il est très compliqué pour un artiste de vivre des revenus générés par les ventes d’albums et les concerts. Voilà une chose que Warner Music a bien comprise en créant un département : Warner 360. Il supervise « les activités de licensing, merchandising, premiums, synchronisations, contenus vidéo, supports numériques et interactifs, spectacles vivants, sponsoring et partenariat avec les marques.» Warner 360 s’ouvre à d’autres labels et traite avec d’autres artistes qui ne sont pas forcément issus de leur maison de disque Warner Music. Par exemple, cette nouvelle entité du groupe prend en charge l’exploitation des droits des artistes signés sous le label Zadig & Voltaire Music.
L’artiste en 2011, un écosystème de marque
Aujourd’hui, l’artiste devient un univers global. Les chansons restent, bien entendu, le fond de commerce de l’artiste, mais ce qui change c’est la multiplicité des moyens de diffusion : elles peuvent être écoutées en concert « live », à la radio, en CD, DVD, de même que sur la Toile où les possibilités d’écoute sont multiples. S’ils désirent augmenter leur notoriété, devenir connus, vivre de leur passion, les artistes ne peuvent plus (pour la plupart) se permettre de « juste » jouer de la musique mais doivent monétiser l’univers autour d’eux et cela passe par du merchandising, allant jusqu’à la gestion de leur personnalité 2.0. Hormis quelques exceptions, quelques « irréductibles », cette tendance semble se confirmer…
La marque Lady Gaga
Dans l’univers musical version 2011 impossible de passer à côté du phénomène Stefani Germanotta ou plutôt de la marque déposée Lady Gaga. Avant la « Reine de la Pop » (comme elle a été récemment désignée par le magazine Rolling Stones) aucun artiste, même mondialement connu, n’était allé aussi loin au niveau marketing.
En effet, il était difficile de rater l’arrivée dans les bacs le 23 mai dernier de son album « Born This Way ». Presse, télévision, radio et surtout Internet ; impossible de louper les multiples campagnes promotionnelles liées à son dernier opus. Là où Lady Gaga a su faire la différence, c’est avant tout sur son positionnement et sa personnalité 2.0.
En plus de la multitude de produits dérivés et de partenariats (H&M, La Redoute, Zara, Samsung …), La Reine de la Pop a su monter un véritable empire digital autour d’elle (bientôt 12 millions de followers sur Twitter, 40 millions de fans sur Facebook). Si elle est devenue une véritable icône numérique, c’est qu’elle a compris le sens du mot Social Media. Elle réalise elle-même ses twitts et n’oublie jamais de mettre ses fans en avant :
Quelques heures après la sortie de « Edge Of Glory », son nouveau single, Lady Gaga, a encouragé ses fans (via les réseaux sociaux) à créer leur propre version du clip. Au final, tout le monde est gagnant, le fan se sent engagé, acteur et plus seulement spectateur. Encore une belle réussite pour Lady Gaga. De son côté, dans ce clip, Google fait de la pub pour son nouveau moteur de recherche Google Chrome, mais également pour d’autres supports comme YouTube ou Google Images.
Un phénomène trop intrusif ?
Bon, il est clair que pour le puriste jouant mélancoliquement un morceau de Bob Marley au bord du feu par un beau soir d’été, ces méthodes publicitaires peuvent paraitre totalement dissociées des objectifs de l’art et de la musique qui étaient, au départ, dénués de toutes préoccupations financières.
Alors forcément oui, l’écoute d’un bon vieux Comfortbly Numb de Pink Floyd est unique. La musique, en soi, ne devrait pas être considérée comme un banal produit de consommation.
Néanmoins, vu la conjoncture économique actuelle, vu le comportement et la direction que prend notre société et pour toutes les raisons citées précédemment, le duo marque-musique est promis à un bel avenir. Il ne faut pas oublier qu’à l’heure actuelle, sans le soutien des marques certains artistes ne pourraient pas vivre comme ils le font et d’autres n’auraient peut-être même pas vu le jour. Laissons donc à tous ces acteurs le temps de réflexion nécessaire pour trouver un équilibre harmonieux. Aux marques de ne pas trop empiéter sur le territoire artistique des groupes et de leurs maisons de disque. Aux artistes de ne pas associer leur image à n’importe quelle marque et devenir plus homme-sandwich que musicien. En gros, pour que la mayonnaise prenne, le tout est de respecter un souci de cohérence.
Xavier Baillet
J'aime faire avancer les gens, les idées et la société. J'aime les entreprises utiles et les entrepreneurs passionnés.
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