La marque face à sa communauté: mûrir ou mourir
Qu’il s’agisse de la refonte du logo Gap ou de celle de Malabar, il n’y a qu’une chose à dire : quand les communautés virtuelles de consommateurs ne « like » pas les tournants stratégiques pris par « leurs » marques, elles ne se cachent pas pour le faire savoir et particulièrement lorsqu’elles n’ont pas été consultées au préalable ! Résultat, les débats partent très vite à la dérive, au point que certaines marques n’arrivent plus à gérer leur communauté.
Rappelez-vous de la refonte du Logo Gap. Le 4 octobre 2010, la marque présente officiellement son nouveau logo. Un évènement bien mal accueilli par la communauté Online… Des milliers d’internautes critiquent la dite refonte directement sur la page Facebook de la marque ou via des comptes Twitter, pendant que d’autres lancent un appel au boycott. Un malaise faisant même émerger sites évènementiels et applications « moqueuses » tels que Crap Logo ou make your own Gap logo, ridiculisant ainsi le nouveau design en proposant à l’internaute de se faire son propre logo Gap. Plus instructifs mais tout autant satiriques,des sites tels que Iso50 et 99designs agrègent les propositions envoyées par leurs internautes. En clair tout le monde s’acharne, chacun à sa façon. Avec près de 747.000 fans sur Facebook et 37.000 « followers » sur Twitter, la marque décide d’écouter ses internautes et, au bout d’une semaine, ré-adopte finalement son ancien logo ; disant au revoir au passage aux millions d’euros investis inutilement dans la mise en place de cette nouvelle identité. Le web participatif n’est donc pas nécessairement source d’économie !
De son coté, quand Malabar présente son nouveau logo à sa communauté Facebook en mars dernier, sa page devient très rapidement (en seulement quelques heures) une sorte de « trolling » collectif. Après avoir tenté de calmer les foules et être entrée en dialogue avec les internautes les plus agressifs, la marque a finalement bloqué les publications de la page pendant plusieurs jours et a fini par justifier ses choix marketing (la dite refonte du logo) dans la rubrique « FAQ ». D’un web social, la marque a finalement rebasculé vers un web 1.0.
Deux cas d’écoles, deux prises de décision extrêmes : l’une donne tout à son internaute, l’autre ne lâche rien. C’est alors que cette problématique vient me titiller les neurones : comment gérer et réguler les communautés virtuelles pour éviter ces dérives ? L’actuelle « crise » que traverse Petit Bateau m’a convaincu de me pencher un peu plus sur le sujet.
Pour ceux qui n’ont pas suivi l’objet du scandale, tout a commencé lundi 13 juin sur la page Facebook de la marque. Des consommatrices signalent alors leur indignation face à la sortie de bodies (justaucorps) aux imprimés qu’elles jugent sexistes.
Un mécontentement qui, en l’absence de prise de parole de la marque, s’est transformé en débat puis en « défouloir » géant. Les consommateurs commencent à s’insurger sur la gestion de la page « où est la modération ! », « où est le community manager ? En train de boire au bistrot ?» et j’en passe.
Moralité : en l’absence de réelle prise de décision de la part de Petit Bateau, certains internautes ont endossé le rôle du community manager. Une initiative relativement bien reçue par le reste de la communauté. Cela dit, qui mieux qu’un consommateur est plus à même de parler aux autres consommateurs ?
Ce qui m’amène à m’ interroger : dans un web dit participatif, la marque ne devrait-elle pas choisir ses animateurs de communauté au sein de ses communautés justement ?
En allant plus loin, qui doit « choisir» le community manager ? Les R.H ou les membres de la communauté de la marque ?
Cas Petit bateau : De la débandade au community autogéré*
Lundi, premier post sur le sujet « body ». Pas de violence particulière mais les 1er signes de mécontentement d’une consommatrice qui regrette de ne pas retrouver l’ADN de la marque dans ces deux nouveaux produits.
En l’absence de prise de parole de la marque, les langues se délient et les consommateurs s’énervent. Chacun commence à prendre parti au sein du débat, soit en tant qu’ambassadeur, soit en tant que détracteur. Un dialogue général qui, en une heure seulement, dérive vers des discours de plus en plus brutaux et éloignés du sujet initial…
… un climat tendu qui finit par ameuter les « trolls ».
Un « troll » vous dites ? Dans son ouvrage Les liaisons numériques le sociologue Antonio A. Casilli appelle « trolls » tous usagers qui « bombardent » les sites de leurs commentaires désobligeants et outrageux dans les communautés en ligne. Ils peuvent même se manifester en harcelant d’autres membres, en envoyant des messages hors sujet ou des menaces, allant même jusqu’à avoir des propos racistes ou sexistes.
Pendant plus d’une heure, la page est prise d’assaut par 3 ou 4 trolls proférant propos sexistes et vulgaires à la volée.
Toujours pas de prise de parole de la marque. Ce sont alors les membres de la communauté qui tentent de réguler les abus en sanctionnant les propos à coup de commentaires.
Et quid de se poser la question Où est la marque ? « Où est la modération ?»
Après 24h de silence, Petit Bateau prend finalement la parole sur sa page. Une méthode qui nous rappelle vivement celle utilisée par Malabar. Une réponse pour tous, une prise de parole descendante, purement informationnelle. Bref, plus institutionnel tu meurs. Du Web 1.0 comme l’on n’en fait plus.
A partir de ce post, deux postures de consommateurs se distinguent.
Ceux qui veulent accompagner la marque dans sa stratégie de communication digitale. En vrais petits experts du web, ils offrent à la marque encouragements et conseils en community management.
Ceux qui la sanctionnent : en désapprouvant vivement les méthodes utilisées, jusqu’à parler « d’amateurisme ».
2 poids 2 mesures : un groupe de consommateurs conseille le filtrage des commentaires quand d’autres bannissent cette méthode ; certains vont même plus loin et n’hésitent pas à proférer des menaces ou à appeler au boycott au nom de leur statut de consommateur.
Le parfait petit Community Manager
Parti sur le ton de l’humour ce commentaire a été pris très au sérieux par l’internaute en question. Après quelques prises de parole elle est « plesbicitée » par une autre consommatrice. A partir de cette proclamation, elle s’improvise elle-même community manager, répondant à quasiment tous les commentaires postés sur le mur (allant même jusqu’à répondre à des commentaires postés il y a plus de 24h).
Au second poste de Petit Bateau, elle est la première à répondre se faisant voix de toute la communauté.
Ainsi, plutôt que de gérer sa communauté et de prendre part au dialogue, Petit Bateau préfère « laisser le débat s’exprimer ». Stratégie ou signe d’une marque dépassée par les évènements ? Encore une initiative mal accueillie par les internautes. Toutefois d’autres consommateurs, plutôt que de laisser le débat se dégrader et dériver encore, retroussent leur manches et gèrent la communication, en interpellant la marque, recentrant le débat et modérant les propos haineux. L’exemple du community manager proclamé sur la page Petit bateau n’est pas anecdotique, loin de là. Il souligne une volonté profonde du consommateur à participer à l’image des marques. Les internautes s’improvisent community manager et il semblerait que cela fonctionne. Pourquoi ne pas alors s’en inspirer ?
Un community manager consommateur, pourquoi ça pourrait fonctionner ?
Le sociologue Peter Kolloc s’est d’ailleurs interrogé sur les motivations qui poussent les gens à s’engager dans la production de contenu en ligne alors qu’ils ne sont pas rémunérés pour. Il semblerait que ces membres donnent dans le but de devenir de véritables personnalités au sein de leur petit monde numérique.
En fait, l’un des principaux facteurs de participation réside dans le degré de corrélation entre l’implication des membres d’une communauté en ligne et leur désir de reconnaissance publique. Certes ce désir existe aussi dans la société « réelle » mais dans les communautés virtuelles tout va plus vite, tout est plus visible. Le don de temps, d’énergie est explicitement récompensé par la communauté et ceci de façon immédiate et proportionnelle à l’effort : « Moi je veux que … soit nommée CM de la page ».
Des marques comme Tensttrust.com ont déjà tenté l’expérience. En avril dernier, le site propose aux internautes de sa communauté virtuelle d’élire leurs «présidents des clients» parmi les membres les plus actifs du site. Les «présidents» élus disposent chacun d’une page dédiée sur le site de Testnstrust, ils peuvent rencontrer les responsables des différentes marques représentées et ont la possibilité de se faire entendre durant les six mois de la durée de leur «mandat». Ils bénéficient également d’un bon d’achat de 100 euros valable sur tous les produits ou services de la marque dont ils sont les élus.
Attention, une nouvelle opportunité d’accord… pas une solution miracle !
Faire élire un community manager par l’ensemble de sa communauté apparait donc comme une solution adéquate pour fédérer ses consommateurs autour d’un « marché de conversation ».
Mais attention, il convient de pondérer ces propos. Une solution d’autorégulation certes, encore que tout dépend de la notoriété de la marque et de la nature du débat.
Le « community consommateur » peut être pertinent pour le cas Petit Bateau, une marque affective aux 58 000 fans Facebook qui désaprouvent deux produits. Mais que penser d’un cas comme Gap, une marque au rayonnement international, dont 700 000 fans remettent en cause l’identité même de la marque ? Et que faire quand des milliers de consommateurs désertent les magasins ? La marque se devait impérativement de faire un choix radical et davantage participatif.
Quoi qu’il en coûte, avec le web 2.0 c’est le même combat pour toutes les marques ! A défaut de règles absolues et ne pouvant s’ inspirer que de cas particuliers, elles avancent toutes à tâtons sur un territoire administré par les consommateurs.
*:N.B : les commentaires ci-dessus sont publiés de manière chronologique afin de présenter objectivement la dégradation de la conversation.
Xavier Baillet
J'aime faire avancer les gens, les idées et la société. J'aime les entreprises utiles et les entrepreneurs passionnés.
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